• "Home" ou l'émotion de l'exil

    Poème sur l'émigration de Warsan Shire, poétesse née en 1988 au Kenya de parents Somaliens, résidant actuellement à Londres.

    Personne ne quitte sa maison à moins
    Que sa maison ne soit devenue la gueule d’un requin
    Tu ne cours vers la frontière
    Que lorsque toute la ville court également
    Avec tes voisins qui courent plus vite que toi
    Le garçon avec qui tu es allée à l’école
    Qui t’a embrassée, éblouie, une fois derrière la vieille usine
    Porte une arme plus grande que son corps
    Tu pars de chez toi
    Quand ta maison ne te permet plus de rester.
    Tu ne quittes pas ta maison si ta maison ne te chasse pas
    Du feu sous tes pieds
    Du sang chaud dans ton ventre
    C’est quelque chose que tu n’aurais jamais pensé faire
    Jusqu’à ce que la lame ne soit
    Sur ton cou
    Et même alors tu portes encore l’hymne national
    Dans ta voix
    Quand tu déchires ton passeport dans les toilettes d’un aéroport
    En sanglotant à chaque bouchée de papier
    Pour bien comprendre que tu ne reviendras jamais en arrière
    Il faut que tu comprennes
    Que personne ne pousse ses enfants sur un bateau
    A moins que l’eau ne soit plus sûre que la terre-ferme
    Personne ne se brûle le bout des doigts
    Sous des trains
    Entre des wagons                                                                                                                       Personne ne passe des jours et des nuits dans l’estomac d’un camion
    En se nourrissant de papier-journal à moins que les kilomètres parcourus
    Soient plus qu’un voyage
    Personne ne rampe sous un grillage
    Personne ne veut être battu
    Pris en pitié
    Personne ne choisit les camps de réfugiés
    Ou la prison
    Parce que la prison est plus sûre
    Qu’une ville en feu
    Et qu’un maton
    Dans la nuit
    Vaut mieux que toute une cargaison
    D’hommes qui ressemblent à ton père
    Personne ne vivrait ça
    Personne ne le supporterait
    Personne n’a la peau assez tannée
    Rentrez chez vous
    Les noirs
    Les réfugiés
    Les sales immigrés
    Les demandeurs d’asile
    Qui sucent le sang de notre pays
    Ils sentent bizarre
    Sauvages
    Ils ont fait n’importe quoi chez eux et maintenant
    Ils veulent faire pareil ici
    Comment les mots
    Les sales regards
    Peuvent te glisser sur le dos
    Peut-être parce leur souffle est plus doux
    Qu’un membre arraché
    Ou parce que ces mots sont plus tendres
    Que quatorze hommes entre
    Tes jambes
    Ou ces insultes sont plus faciles
    A digérer
    Qu’un os
    Que ton corps d’enfant
    En miettes
    Je veux rentrer chez moi
    Mais ma maison est comme la gueule d’un requin
    Ma maison, c’est le baril d’un pistolet
    Et personne ne quitte sa maison
    A moins que ta maison ne te chasse vers le rivage
    A moins que ta maison ne dise
    A tes jambes de courir plus vite
    De laisser tes habits derrière toi
    De ramper à travers le désert
    De traverser les océans
    Noyé
    Sauvé
    Avoir faim
    Mendier
    Oublier sa fierté
    Ta survie est plus importante
    Personne ne quitte sa maison jusqu’à ce que ta maison soit cette petite voix dans ton oreille
    Qui te dit
    Pars
    Pars d’ici tout de suite
    Je ne sais pas ce que je suis devenue
    Mais je sais que n’importe où
    Ce sera plus sûr qu’ici

     

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